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Rap-de-mixtape
Abe Beame traduit par Hervé Loncan
Cela peut paraître bizarre à l’heure des sorties erratiques de singles en streaming, mais il fut un temps où les meilleur·e·s rappeurs et rappeuses se tiraient la bourre sur un format « mixtape », étrangement peu sensible aux variations de supports (cassettes, CD puis MP3). Format esthétique et commercial, la mixtape empruntait sa durée à celle de l’album (excédant parfois les plus longs d’entre eux) et, de plus en plus fréquemment au cours de son histoire, ses rythmes effrénés de parution aux sitcoms. Elle révéla quelques-uns des rappeurs les plus brillants et influents de leur génération – 50 Cent ou Fabolous. La seconde génération, en particulier, celle des Lil Wayne ou Gucci Mane, s’est montrée capable d’en enchaîner plusieurs par mois, donnant à voir le progrès de leurs flows presque en direct, générant sans cesse des punchlines sur le mode du flux de conscience, testant sans craintes des timbres vocaux ou des ad libs inédits. Nos camarades journalistes ayant surtout parlé de l’âge de la mixtape pour son économie et sa manière de préfigurer le marché dérégulé du streaming, il nous a paru important de revenir sur ce que la mixtape a pu porter au niveau du style et de la manière de rapper. Pour cela, nous sommes allés chercher l’un des meilleurs spécialistes en la personne de Josh Kaplan aka Abe Beame, de Passion of the Weiss, l’un des rares blogs à avoir continué après l’effervescence du milieu des années 2000 sans avoir à en rougir. Il nous replonge dans cette source vive, celle d’une certaine idée du rap comme délire fantaisiste presque ininterrompu, communiquant un mélange d’excès, de générosité et de tension dont l’influence reste perceptible chez les trappeurs et trappeuses d’aujourd’hui.
Le fascisme comme style
S. Alexander Reed traduit par Angélique Merklen et Hervé Loncan
Quand nous avons entrepris de republier ce texte extrait d’un livre passionnant sur l’histoire de la musique industrielle paru chez Camion Blanc (S. Alexander Reed, Assimilate. Une histoire critique de la musique industrielle), nous avions bien sûr en tête le retour à la mode de l’extrême-droite, le fascisme, dans les scènes indus et post-indus, étant toujours d’actualité. On en parle souvent en termes de « folklore », d’« imaginaire », d’« ambiguïté » ou de simple goût de la provocation, mais on peut se poser la question des moyens qu’on se donne pour éviter d’encourager le racisme et la violence, et si – et comment – cette démarche peut s’articuler avec l’intérêt des musicien·nes et des publics pour l’exploration esthétique de différents tabous. C’est le mérite d’un passionné de ces scènes comme S. Alexander Reed d’étudier avec honnêteté les différents arguments autour de ce sujet, tout en se demandant clairement si les références plus ou moins lointaines à l’esthétique du fascisme n’auraient pas tendance à le diffuser et à le rendre plus acceptable.
Autonomes & punks
Philippe Roizes
Le fil que Greil Marcus a tiré dans Lipstick Traces entre l’Internationale situationniste et le punk anglais aura frappé l’imagination de pas mal de jeunes à l’esprit rebelle, nous les premiers : l’expérience intime du refus s’y trouvait propulsée à l’échelle d’une structure traversant l’histoire des avant-gardes. Mais avec le recul, il y a quelque chose d’évidemment idéaliste dans l’approche de Greil Marcus, qui en fait une histoire de héros, d’insatiables porteurs de la critique de la civilisation ou de la société capitaliste. Nombre d’auteurs, notamment britanniques, ont depuis relativisé cette légende pleine de panache et préféré insister sur le caractère plus ou moins « intégré dès le départ » du punk, sur le fait que les punks étaient loin d’être tous des prolétaires, et sur leur attitude parfois plus opportuniste que radicale. Il nous paraît important d’arrêter de se poser ce genre de questions uniquement en regardant vers l’étranger, l’éloignement culturel favorisant une idéalisation de la « contre-culture ». Qu’en a-t-il été pour nous, en France ? C’est la question dont s’empare Philippe Roizes, punk dans ces années-là et auteur d’un documentaire sur les luttes politiques autonomes en France. S’appuyant sur une culture encyclopédique de ce milieu, il l’aborde à toutes les échelles, du rapport au travail, aux réseaux de distribution et à l’organisation des concerts, en passant par la participation aux émeutes et manifestations. Il fait ainsi apparaître ce qui rapproche et ce qui différencie les punks de ceux qui proposaient de passer de la critique libertaire à l’action politique.
L’âge de la compression
Ryan Diduck traduit par Fanny Quément
Depuis les débuts d’Audimat, un problème revient régulièrement, tel une ritournelle, un débat qui ne risque pas d’être épuisé de sitôt : peut-on encore parler d’une musique moderne, au sens où elle exprimerait quelque chose de l’intensité du présent, de la politique et du désir, de l’horizon des possibles ? À leur manière, Mark Fisher, Simon Reynolds, Adam Harper, Dan Dipiero, Matthieu Saladin ou Catherine Guesde ont déjà tâché d’apporter des éléments de réponse à cette question dans notre revue. Ryan Diduck, critique pour The Quietus et auteur d’un livre d’histoire culturelle du système MIDI, s’en empare à son tour pour observer comment la décennie 2010, incapable de faire surnager des tendances claires, semble surtout avoir été redéfinie autour d’un marqueur sonore omniprésent, la compression side-chain. En s’appuyant sur un medley de certaines des stars de la théorie critique, Ryan Diduck montre comment cette technique incarne notre modernité sonore en incorporant dans son fonctionnement même les logiques économiques et politiques néolibérales – même si au fil de l’article, ce qu’il décrit d’abord comme le signe d’une espèce de "totalitarisme soft" techno-esthétique finit par apparaitre plus ambivalent qu’il n’y parait.
Glam de France
Émile Cartron-Eldin
Le problème de la distance culturelle par rapport à l’Angleterre que soulève l’article de Philippe Roizes dans ce même numéro s’était déjà posé au moment de traduire Le Choc du glam de Simon Reynolds (Audimat Éditions, 2021). Quoi de plus spécifiquement anglo-saxon que le glam rock ? Si l’on pense que la musique compte à l’échelle locale, que les vrais combats sont des batailles locales et territoriales, alors pourquoi se soucier des gesticulations de Bolan, Bowie et consorts ? Bien sûr, la force du livre de Reynolds était de dépasser la situation anglaise des années 1970, et de présenter la dimension quasi-métaphysique de la fuite en avant perpétuelle des protagonistes du glam. Mais comme nous ne nous refusons jamais au défi d’un peu de spéculation historique, nous nous sommes demandés ce que cela pourrait donner de relire l’histoire du rock et de la pop française au prisme de cette hypothèse. Émile Cartron-Eldin, musicien (Music On Hold), homme de label (Gone With The Weed) et collectionneur, s’est prêté pour nous à cet exercice impossible. Dans une réplique ironique aux idées de Reynolds, cette petite enquête historique montre la réversibilité des valeurs « pop », « rock » et « variété » dès qu’on se rapproche un peu des vies de musiciens dont le cap varie volontiers selon l’inspiration du moment ; mais elle fait aussi valoir le charme particulier des musiques pop françaises quand elles pratiquent l’imitation approximative, souvent charmante, parfois parodiques : c’est dans cet art de la distance que les musiciens français peuvent revendiquer de bon droit l’aura du glam.
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